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        On vient de lire un des poèmes les plus qui puissent être. Je veux dire un de ces textes dans lesquels la beauté paraît, presque sans rapports visibles avec les moyens de l’obtenir. Tous ceux pour qui le secret d’une esthétique est dans la stricte application d’une poétique formellement définie, iront se perdre dans la pureté de cette poésie élémentaire.

       Si j’espérais définir l’impression née pour moi dans ce poème, je dirais qu’il apparut à mes yeux comme l’allégorie la plus charnelle qui soit du monde méditerranéen. Deux traits suffisent à cerner ce domaine étendu, des « champs de mimosas » à l’image desquels correspond sur un chemin cette « espadrille foulant l’herbe ». Je note même que le mot le neuf, ici, ce verbe inattendu pictural, bivouaquer, qui ferait trouvaille autre part, heureusement ne retient pas.

        Le prestige éclatant de cette vision échappe de manière continue à tout procédé, à toute liaison syntaxique. Des tours qui rompent avec la mécanique grammaticale : « Loin de leur endroit », « la rencontre extrêmement odorante », sont naturalisés par le texte. De même cette décentration physiologique, qui nous réveille d’ordinaire (lorsque Paul Valéry dit : « quel corps me traîne à sa fin paresseuse » -, ou bien que Supervielle aperçoit les mains « en train de rêver pour leur propre compte »). Le détachement de ces « bras qui se sont occupés durant la journée aux fragiles branches » n’est pas essentiel ici.

       La dimension allégorique naît d’éléments imprévisibles, il n’y a pas concordance avec une rhétorique, il y a bonheur. Cette Cueilleuse de Mimosas sur-le-champ s’égale au Printemps de Botticelli. On remarquera, dans l’apparition célèbre du Florentin, que le pouvoir allégorique n’est pas obtenu par des attributs conventionnels, ailes, emblèmes. Le détail qui suffit à douer la Grande Femme Aérienne de ce pouvoir d’incarner l’invisible printemps, c’est qu’elle marche à la pointe des herbes. Encore peut-on douter que le peintre ait expressément voulu la détacher de terre, et si peu. C’est parce qu’elle s’en va que la cueilleuse de mimosas vit sur la toile du poète ; peut-être toute la vertu du mot vient-elle du fait que le verbe est absolu. Parce qu’elle s’en va, le dos tourné au soleil couchant, c’est une figure d’ombre à contre-jour au cœur d’une grande lumière, - et le contre-jour grandit. Et c’est parce qu’elle est pareille à une lampe dont l’auréole de clarté serait de parfum : auréole de parfum tangible parce qu’en dépit du conditionnel, à cause même de l’image du soleil couchant, l’auréole de clarté existe aussi dans notre imagination, se superpose à l’autre et l’exprime par correspondance.

         Trois touches suffisent à manifester la magie d’une simple rencontre. Les champs de mimosas, la fille, et l’espadrille en regard font trois notes réalistes, attestant l’attenance à notre monde de rencontre, qui n’eût pu n’être aussi bien qu’un instantané sentimental.

        Comme « la rencontre extrêmement odorante » menait l’esprit d’onde à onde à « l’auréole de parfum », la lampe et l’auréole, - la phrase qui les porte recolore ces images qui sont à tous – la lampe et l’auréole, donc, confèrent une gravité solennelle à la femme qui s’avance. Un trait s’ajoute et lui donne sa grandeur définitive : « il serait sacrilège de lui adresser la parole. » On a croisé quelque chose de beau comme un dieu : la Femme des bords de la Mer Intérieure, la choéphore, la canéphore, la porteuse de tout ce que le monde méditerranéen peut offrir. Le poète a souhaité qu’avec cette noblesse, cette lenteur et cette dignité sculpturales, cette porteuse apporte aussi gravement le Désir et l’Amour : « Peut-être aurez-vous la chance de distinguer sur ses lèvres la chimère de l’humidité de la Nuit ? »

    Cette porteuse de mimosas, c’est tout ce que la Provence, et l’Italie, et la Grèce, et l’Espagne et l’Anatolie même et les pays arabes peuvent offrir à l’homme ; ou du moins ce qu’il en a toujours attendu. On est devant une allégorie spontanée.

Georges Mounin, Avez-vous lu lu Char?, Folio Essais, p.37-40, 1947.

 

Sandro Botticelli, Primavera. Tempera sur panneau de bois. 203 x 314 cm. 1478-1482. Galerie des Offices. Florence, Italie.

Sandro Botticelli, Primavera. Tempera sur panneau de bois. 203 x 314 cm. 1478-1482. Galerie des Offices. Florence, Italie.

Tag(s) : #Poésies
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