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Erri de Luca, La nature exposée.

Erri de Luca, La nature exposée.

 

 

Cette rubrique sur des livres lus et appréciés a besoin d’air, d’être. Simple exercice de style ou de partage ? Peut-être !

Merci à Erri de Luca qui me pousse dans mes retranchements : publier un article sur La nature exposée.

 L'auteur arrive à traduire toute la sensualité qui parfois se dégage d'une sculpture. Combien d'heures restée à contempler des pièces au Louvre ou chez Rodin? Pas assez à mon goût mais suffisante pour apprécier cette délicatesse des mots qui sculptent et caressent tout en donnant à voir, à ressentir.

Chez Erri de Luca, la phrase est motrice, active, tactile, rêveuse, jumelle.

Son narrateur, un montagnard alpiniste, est un passeur, un réparateur de statue. Il s'occupe des détails tout en admirant en spectateur, le travail de l'artiste.

« J’ai gardé mon admiration pour les artistes, un sentiment de spectateur et non de collègue. »

La phrase est tactile.

Son narrateur a besoin de courir dans le bois, de marcher lorsqu'il a trop sculpté, de sentir ses doigts au contact des parois à escalader.

« J’habite près de la frontière, au pied de la montagne que je connais par cœur. Je les ai apprises en chercheur de minéraux et de fossiles, puis en alpinisme. Le commerce de ce que je trouve et de petites sculptures en pierre et en bois me procure un gain aléatoire.

Je grave des noms pour les amoureux endurcis qui les préfèrent sur des branches et des cailloux plutôt que sur des tatouages. » […]

Parfois les sens s’enchevêtrent, se bousculent :

« Je sortais de mes heures de travail dans la galerie, et au lieu de descendre au village, je grimpais dans la montagne. Poussé par un désir de neige, je me lavais les mains et le visage avec. Je montais en courant dans les bois, une saine transpiration sortait par tous les pores de ma peau. Je me hissais dans les branches d’un pin cembro en me poissant les mains de résine. »

Les mains sont présentes, irrésistiblement.

La phrase est jumelle.

Le narrateur vit avec son jumeau décédé il y a longtemps. Mais il est en lui. Lors de décisions à prendre, c'est le jumeau qui a le dernier mot. Lorsqu'il écrit, sa main gauche participe à l'écriture, celle du jumeau qui a toujours son mot à écrire.

« Si mon frère jumeau était encore vivant, il approuverait. » […] « Il y a plus de cinquante ans : sa pensée me tient compagnie. […] JE pense à lui dans mes décisions, je l’interroge. Il a droit au dernier mot. […] En mémoire de lui, j’ai voulu apprendre à me servir de ma main gauche. Sur mon cahier, j’écris une page avec la mienne et une autre avec la sienne. Ainsi nos mains restent jumelles. »

Même dans la relation au jumeau, la main est toujours là. Ce changement de main  me rappelle un jeu d’enfance qui consistait à se lancer le défi d’écrire son prénom de la main gauche. Stupeur et fou rire de voir ce double tremblant et hésitant. On recommence alors pour l’améliorer. Thème du double intéressant : comment va-t-il être traité ?

La phrase est sensuelle.

Le narrateur a hérité d'une commande : réparer la sculpture d'un christ. Avant de commencer le travail de réparation, le narrateur regarde, admire, observe, scrute, caresse, imagine, le détail du corps, des veines, des muscles, les blessures, les torsions.

Après avoir parlé au curé et vu le Christ à réparer, l’homme rentre chez lui :

« Le soir, je me regarde nu dans la glace. J’imite la forme étirée du corps en torsion, ma nature s’incurve en suivant la tension des muscles ventraux. »

Un lent processus de recherche et de réflexion s’empare de l’homme. La statue devient mentale.

« Dans une statue, on doit entrevoir le sang. Ici, les veines sont gonflées jusqu’à l’impossible. Ici est représentée la mort d’un athlète en plein effort.

Sa beauté est telle qu’un tribunal de femmes ne le condamnerait pas. Non par désir de l’étreindre, mais par respect de la perfection. Il serait absous par admiration. »

Ici, le charnel profane se mêle à la pureté du sacré.

Quoi qu’il en soit, la lecture de ce livre laisse des traces. La phrase de Luca transperce le sang, la chair. Le désir de retrouver des statues s’empare furieusement de ma réflexion. Une visite dans l’église la plus proche s’empare de moi. Cependant la peur d’être déçue me retient. Vais-je plutôt attendre ? Me rendre au Louvre ? Chez Rodin ?

Je n’arrive pas à trancher.

© Artine

 

 

 

Tag(s) : #Littérature
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